Piranhas (1978)

Je vous parle d'un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaitre, un temps aujourd'hui révolu où la chaine M6 était parfois regardable. Dans les années 90, une case horaire en particulier allait marquer les fantasticophiles de l'époque : le jeudi en deuxième partie de soirée. Ce rendez-vous, appelé Les jeudis de l'angoisse, était consacré à un film ou téléfilm fantastique ou d'épouvante. La qualité était variable (ça allait de Chromosome 3 à Carnosaur) mais ça avait au moins le mérite de proposer autres choses que les sempiternels blockbusters et comédies franchouillardes. Pourquoi je vous parle de ça ? Parce que c'est via Les jeudis de l'angoisse que j'ai découvert Piranhas qui eu un énorme impact sur mes goûts ciné. C'est ce film qui m'a définitivement ouvert les yeux sur une vérité de La Palice : ce n'est pas le budget qui fait la qualité d'un film, une série B peut surpasser la plus somptueuse des productions. Ce qui compte, c'est l'inspiration, la générosité et la débrouillardise de son réalisateur.

Le pitch de est pourtant simplissime : à la recherche de deux jeunes disparus, une détective privée vide le bassin d'un centre de recherche et libère accidentellement des piranhas génétiquement modifiés dans la rivière. Ceci évidemment en pleine saison des colonies de vacances et la veille de l'inauguration d'un centre de loisirs !

Suite au succès interplanétaire des Dents de la mer, tout le monde s'est mis à produire son film d'attaque animale pour surfer sur la vague, et le producteur Roger Corman n'y a pas échappé. Il confie le projet à son poulain Joe Dante qui s'était déjà fait la main sur des bandes-annonces et qui avait coréalisé en 1976 la comédie potache Hollywood Boulevard bricolée avec un nombre incalculable de stock-shots issus du catalogue Corman. Heureusement, le budget n'est pas aussi famélique pour Piranhas même s'il n'est pas luxueux non plus. Dante peut néanmoins compter sur les futurs stars des effets spéciaux Phil Tippett et Rob Bottin pour la poiscaille et les maquillages. Coté casting, on retrouve déjà les têtes qui continueront de parsemer la filmographie du réalisateur : Dick Miller , Belinda Balaski et Kevin McCarthy (l'éternel premier rôle de L'invasion des profanateurs de sépultures). On a aussi la surprise de retrouver la reine de l'épouvante gothique des 60's Barbara Steele, alors ici en fin de carrière mais au charme toujours aussi envoûtant.

Bon, je ne vais pas vous mentir, j'adore ce film. C'est un pur produit d'exploitation à la base mais le talent de Joe Dante saute déjà aux yeux avec son style si particulier plein d'ironie et de clins d’œil (par exemple l'héroïne joue au jeu d'arcade Jaws au début du film !). C'est aussi généreux et rythmé. On ne s'ennuie pas une minute avec cette improbable histoire de complot militaire où des piranhas programmés pour la guerre du Vietnam transforment des enfants en encas avant de passer au festin constitués de centaines de touristes ! Si le chef d’œuvre de Spielberg a élevé le suspense au rang d'art avec sa réalisation millimétrée, la réponse de Dante tient plus du délire de sale gosse, s'amusant à filmer les gens se faire croquer avec un entrain rarement vu dans le genre (et ne parlons pas du mode opératoire permettant de se débarrasser des poissons qui ferait hurler les écologistes de nos jours !). L'ensemble ne tombe jamais franchement dans la comédie mais les dialogues teintés de second degré démontrent cette volonté de jouer avec les codes du genre, et le réalisateur le fait tellement bien. Sa réalisation est excellente, le montage des attaques est très efficace malgré le coté très artisanal de ses effets spéciaux et puis il y a cette photographie granuleuse unique qui donne un cachet visuel inimitable.

La légende raconte que Steven Spielberg a adoubé Piranhas en tant que meilleur rip-off des Dents de la mer. Je partage son point de vue, c'est une réussite totale, du pur fun en barres bien emballé (je mets de côté l'excellent et mélancolique Orca qui est un faux film d'attaque animale). En tous cas, Spielberg confiera à Joe Dante un segment de son film La quatrième dimension en 1983 avant de lui produire l'année suivante Gremlins.

La franchise Piranhas, elle, tombera dans des mains italiennes en 1981 pour le nullissime Piranha 2 : Les tueurs volants en partie tourné par le débutant James Cameron (lui aussi issu de l'écurie Corman). En 1995, pas avare d'idées dès qu'il faut faire des économies, Roger Corman produira un remake téléfilmesque de Piranhas en le retournant plan par plan et en recyclant les séquences d'attaques sous-marines originales ! Le résultat est, parait-il, pitoyable car sans aucun intérêt (il a en plus été adouci visuellement pour faciliter sa programmation). Enfin, pour être exhaustif, la franchise fera son retour au cinéma en 2010 et 2012 avec le remake Piranhas 3D et sa suite Piranhas 2 3D (pas vus ceux-là).